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TEXTES D'AMÉLIE MURAT



STANCES POUR UNE MAINPERDUE


Cette main, qui n'a pas su recueillir la mienne
Quand nous suivions, hier, l'enveloppant chemin
Où l'automne émondait sa flondeur titienne,
Toute la nuit j'en ai rêvé... de cette main!

Elle éventait mes cils, jouait contre ma bouche,
descendait vers mon cœur palpitant à son poids,
S'appliquant sur la mienne où sa plus longue touche
Devenait l'ombre inséparable de mes doigts.

Toutes deux s'enlaçaient, s'épousaient l'une l'autre...
Et je ne savais plus si, parti de mon cœur,
Mon sang se diluait dans la mienne ou la vôtre,
Tant leurs paumes brillaient d'une égale chaleur.

Et leur étreinte était si juste et si parfaite
Que j'en faisais le terme innocent du désir,
Et dans l'amour n'imaginais pas d'autre fête
Que l'hymen de deux mains qui surent se choisir

Mais qui, dès l'heure obscure où toute oiselle terrible,
De l'aile invulnérable attendra le retour...
Rejointes, je sais bien qu'elle cèdent ensemble
À la complicité de l'amour.

Et toutes deux, haussant sur leur accord physique
L'élan spérituel sans quoi tout serait vain,
Font de leur double vie une seule musique
Vouée à l'unisson de l'honannah divin.

«C'est donc bien vrai? disais-je. Elle est mienne... ah! plus mienne
Que n'est ma propre main, puisque je l'aime mieux!
Se peut-il qu'un bonheur aussi cher m'appartienne?...»
-Alors chanta, dans l'aube, un coq insidieux.

L'étroit cocon du rêve où l'âme est chrysalide,
Évidé pour ce bec incisif et moqueur,
J'entrevoyais déjà, confusément lucide,
Que ces deux tristes mains recluses sur mon cœur.

C'étaient vous ma main droite avec vous ma main gauche,
-Et de quel poids, ce cœur, vous l'excusiez soudain?-
Pétrissant, chaque jour que Dieu mûrit et fauche,
Votre mélancolique et fade petit pain...


Extrait de Chants de minuit



TEXTES AMÉLIE MURAT