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TEXTES D'AMÉLIE MURAT



IL FALLAIT QUE JE MARCHE


Il fallait que je marche à l'ombre de la mort,
Qu'abattue et frappée en pleine ardeur vivante,
Je sente, avec un froid vertige d'épouvante
Le souffle ténébreux venu de l'autre bord
Coucher sur mon flambeau la flamme vacillante...

Il fallait ce péril, affolant cet effroi,
Pour que soumise à l'ordre imposé, j'accomplisse,
Mon Dieu, le déchirant et muet sacrifice
Qu'un longanime appel n'obtenait point de moi...
Et la mort aussitôt à votre service.

C'est vrai... je différais lâchement de briser
Le pauvre cher lien dont j'étais prisonnière;
Prolongeant sa douceur que je disais dernière,
Et soupirant plus tard... j'osais vous apaiser
Par ma promesse ingrate et ma fourbe prière.

Mais vous m'avez sommée en secret de choisir,
Par cette impérieuse et pressante menace,
Entre le don terrestre et la divine grâce,
J'ai consenti mon choix lorsque prête à mourir,
Je sentais sur mes yeux le vent de votre face...

Si tout est consommé. J'ai fait hier le vœu
Dont il n'est pas permis qu'aujourd'hui me dégage;
Mon âme nue ainsi qu'un champ après l'orage,
Un logis ruiné par la crue ou le feu,
De son dépouillement total, rend témoignage.

Je sais que nulle joie exempte de remords
Ne me vaudra le bien que je vous sacrifie;
Votre sévère amour est le seul réconfort
Qu'il me faille espérer, quand j'élude la mort,
Pour dominer ma peine et traverser la vie.

Le dernier rameau vert tendu sur mon chemin,
Ma promesse imprudente à la coupe le livre.
Mais j'ai peur du désert où m'enfoncer demain,
J'ai peur de ma faiblesse... Ô mon Dieu, peut-on vivre
Sans l'ombre et le parfum de quelque amour humain?


Extrait de Le sanglot d'Ève



TEXTES AMÉLIE MURAT